La contrepartie au dépassement du temps normal de trajet domicile-lieu de travail de salariés itinérants doit être suffisante

La contrepartie accordée à des salariés itinérants au dépassement du temps normal domicile-travail, lorsqu’ils ne travaillent pas habituellement dans leur agence de rattachement mais dans les locaux du client peut être jugée dérisoire par les juges du fond.
(Cass soc 30 mars 2022, n° 20-15.022)

Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière (article L 3121-4 du Code du travail). Ces dispositions s’appliquaient déjà à des travailleurs itinérants (exemple : technicien de SAV dans l’arrêt cité ci-dessous) qui n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel et effectuent des déplacements quotidiens entre les sites des premier et dernier client (Cass soc 30 mai 2018, n° 16-20.634).

Ces contreparties peuvent être négociées (L 3121-7) ; à défaut, elles sont déterminées par l’employeur de manière unilatérale après consultation du CSE (L 3121-8).

En l’espèce, des salariés d’une entreprise du numérique qui intervenaient directement chez leurs clients sans passer par leur agence avaient droit à une compensation de 5,50 euros par jour mais uniquement lorsque le temps de déplacement aller-retour du domicile au lieu de réalisation de la mission était supérieur à 3 heures, durée que l’entreprise considérait, de manière unilatérale, comme un temps normal de trajet.

Le syndicat qui a contesté cette règle invoquait une étude de la DARES selon laquelle le temps de trajet moyen aller-retour d’un salarié entre son domicile et son lieu de travail est de 68 minutes par jour en région parisienne (50 mn dans les autres régions), soit près de 2 heures de moins que le temps considéré par l’employeur, comme étant un temps normal de trajet.

La cour d’appel a jugé ces contreparties dérisoires car la « franchise » (c’est-à-dire le temps de déplacement excédentaire (au-delà de 68 mn) non indemnisé (près de 2 heures)) était trop importante et elle avait, en conséquence, ordonné à l’employeur d’adopter de nouvelles dispositions sur ce point.

Dans son pourvoi en cassation, l’employeur faisait valoir qu’il n’appartient pas au juge d’apprécier le caractère suffisant d’une contrepartie lorsque celle-ci a été déterminée conformément aux dispositions légales (en l’espèce, de manière unilatérale).

Le raisonnement suivi s’articule en trois temps.

Tout d’abord, selon la Cour de cassation, la cour d’appel a considéré à bon droit que le lieu habituel de travail d’un salarié itinérant peut être défini comme « le lieu où se situe son agence de rattachement si tant est que celle-ci se situe à une distance raisonnable de son domicile » ; dès lors, le temps de trajet ainsi déterminé est équivalent au temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail d’un salarié de la région considérée.

La Haute juridiction a ensuite considéré que les temps normaux de trajet retenus par l’entreprise étaient « déconnectés de ces temps normaux de trajet » du fait de la « franchise ».

La Cour de cassation a ainsi conclu (3ème temps du raisonnement) que la cour d’appel pouvait en déduire que « les contreparties (…) fixées unilatéralement par l’employeur méconnaissent, en raison de leur caractère dérisoire, les dispositions de l’article L 3121-4 et lui ordonner de mettre en place un système de contreparties déterminées région par région en fonction du temps normal de trajet entre le domicile du salarié et le lieu habituel de travail défini par la cour d’appel. »

La Cour de cassation avait déjà considéré qu’il appartenait aux juges du fond de fixer le montant de la contrepartie lorsque celle-ci n’est définie ni par des dispositions conventionnelles ni par un engagement unilatéral de l’employeur (Cass soc 14 novembre 2012, n° 11-18.571). Elle leur reconnaît désormais le pouvoir d’apprécier le caractère suffisant de la contrepartie appliquée par l’employeur et de lui imposer, le cas échéant, de mettre en place un système de contreparties.

La portée d’un tel arrêt est évidente tant la proportion de salariés qui travaillent habituellement chez des clients éloignés de leur domicile et ont de ce fait droit à des contreparties au titre du dépassement du temps normal de trajet entre leur domicile et leur lieu de travail est importante.

Jean-Marc JAUFFRET, Avocat au barreau de LYON
(jm.jauffret.avocat@free.fr ; www.jmjauffretavocat.fr)